Le Train à Bir-Hakeim

Aller au contenu

Le Train à Bir-Hakeim

L'Histoire
La 101ème Compagnie Auto à Bir Hakeim

"Le convoi doit passer, coûte que coûte"



« Général Koenig, sachez et dites à vos troupes que toute la France vous regarde et que vous êtes son orgueil »  Charles De Gaulle


Nos armées ont commémoré le 8 mai 2012 le 70e anniversaire des combats de Bir Hakeim à l’occasion desquels la 101ème compagnie automobile, unité de soutien de la 1ère BFL s’est particulièrement illustrée.
Cette unité a été formée en juin 1940 en Angleterre sous la dénomination de 1ère Cie du Train. Quelques cadres et conducteurs vétérans du corps expéditionnaire de Norvège et de jeunes évadés de France, dont le plus jeune avait 16 ans et le plus âgé 20, la composent. Ils seront engagés après une instruction théorique sur le bateau vers l’Afrique et une formation IEC hâtive au Cameroun et sur les pistes du désert soudanais. A la formation de la 1ère BFL en Palestine, elle prend la dénomination de 101ème Cie Auto. Elle va participer en soutien de cette division à tous les combats de la libération jusqu’au 8 mai 1945.
Bir Hakeim est son fait d’arme le plus prestigieux.


Carte bataille de Bir Hakeim.

Le 27 mai 1942, la compagnie a déchargé à Bir Hakeim les impedimenta et munitions de la brigade et stationne avec l’échelon arrière sur la piste de Tobrouk, à une trentaine de kilomètres au nord-est du camp retranché, sous l’autorité du 4ème bureau. Elle compte 4 officiers (capitaine Dulau, commandant la compagnie ; lieutenant Hochaftel, ancien sous-officier vétéran de Norvège ; sous-lieutenant Béziade, rallié en Syrie ; aspirant Renault, (frère du Col Rémy), 25 sous-officiers et 335 hommes de troupe provenant pour une bonne part d’Indochine, d’Afrique noire, de Syrie et du Liban et 125 Français de métropole.



Les jeunes de la 101ème Cie Auto

Parmi ces derniers: les 80 jeunes évadés de France. Dispersés dans toutes les sections, ils sont l’âme de cette unité dont le rapport ne nécessitait pas moins de 5 interprètes. Pour canaliser le noble élan de ces jeunes impétueux, le commandement, chaque fois que possible, lors des grands engagements, forme avec eux provisoirement un ou deux groupes de combat qui s’en vont prêter main forte à leurs camarades fantassins.
La compagnie a perdu ses vieux Bedford à bout de souffle au profit de camions Dodge et Chevrolet. Elle est largement équipée de moyens de défense antiaérienne et antichar.


Chevrolet 2 ponts de la 101 cie auto

Les travaux de défense de Bir Hakeim étant terminés, la compagnie ravitaille la place forte « à la demande » en ce qui concerne la majorité des approvisionnements et quotidiennement en eau. La ration quotidienne, puisée dans l’unique puits de Tobrouk, a été fixée par le commandement britannique à 5 litres par homme et par jour. A cet effet, les Français ont récupéré dans les villes détruites de la côte et sur des épaves abandonnées dans le désert 7 cuves qui ont été installées par l’atelier sur les camions de l’unité. Les tailles et formes très diverses de ces cuves donnèrent à la compagnie l’opportunité d’effectuer des perceptions abusives d’eau malgré la surveillance tatillonne du puits par les MP anglais.



Base log de la 1° BFL stock de carburant


Le 27 à 6h, l’aspirant Renault revient en toute hâte d’une mission de fléchage d’un itinéraire de repli éventuel de Bir Hakeim vers Tobrouk, distante de 90 km. Il alerte la base sur la présence à quelques kilomètres des blindés de l’axe qui ont contourné le camp retranché. A 7h, lorsque les derniers véhicules du dispositif  logistique quittent in extremis la zone de bivouac, les chars allemands sont en vue… A 9h, la compagnie se réinstalle à Bir El Gobi, 70 km au sud-est de son ancienne position.
Ce même jour, les forces de l’axe anéantissent deux brigades anglaises dont la 3ème brigade indienne. Ne pouvant alimenter en vivres et en eau les 620 prisonniers de cette dernière, ils seront abandonnés dans le désert et se présenteront à Bir-Hakeim épuisés et mourant de soif. Accueillis à bras ouverts, ils seront alimentés sur les mêmes bases que les hommes de la brigade, tout comme les prisonniers italo-allemands. Cela hypothéquera cependant grandement les réserves d’eau de la garnison. Mais la division blindée italienne ARIETE a été mise en déroute par la 1ère BFL (35 chars détruits) au prix de… 3 blessés légers.

Dans la nuit du 30 au 31 mai, un convoi de 50 camions de la 101ème compagnie (dont la 1ère section commandée par le maréchal des logis Le Gourierec), escorté par des moyens antichars de la compagnie et des automitrailleuses anglaises, parvient à franchir les lignes ennemies pour ravitailler le camp retranché. Il transporte 6000 coups de 75, des milliers d’obus de DCA pour les canons Bofors, 2 jours de vivres et 5000L d’eau. La nuit suivante, le convoi parvient à quitter Bir Hakeim, chargé des premiers blessés, des 620 hindous de la 3e brigade et de 240 prisonniers allemands et italiens, mais peine à retrouver la compagnie dans le désert. Ayant rejoint cette dernière, les véhicules sont envoyés recharger des munitions d’artillerie.


Départ en convoi de la 101° Cie Auto


Dans la nuit du 7 au 8 juin, alors que la garnison tient toujours, une colonne de la 101ème Cie, forte de 80 véhicules aux ordres du lieutenant Hochapfel, rôde à une trentaine de kilomètres au sud-ouest de Bir Hakeim pour tenter de trouver un passage. En vain. Son chef espérait faire passer à travers les mailles du filet des escouades isolées (deux camions de munitions, deux de vivres et un d’eau) avec une petite escorte. Les conducteurs sont tous volontaires.

C’est alors que le lieutenant Bellec parvient à se faufiler hors de la position encerclée et rejoint la colonne de la 101ème. Il pense ne pouvoir faire le trajet inverse qu’avec 30 véhicules. Il manque à la position surtout du 75, mais aussi du ravitaillement et de l’eau. A 3h du matin, la colonne est formée, lieutenant Bellec et maréchal des logis Le Gourierec en tête. Les camions de la section de ce dernier, chargés en particulier d’obus de 75 et conduits entre autres, par Lebon et Fournier de la Barre, constituent la majorité du détachement. En franchissant les lignes allemandes, tous feux éteints, le convoi est mitraillé, des pneus crevés. Mais grâce à l’obscurité et à l’effet de surprise, la colonne parvient à 4h au complet dans Bir Hakeim où ne subsistaient plus qu’une journée de vivres et d’eau. Les approvisionnements sont déchargés avant 7h. Personne ne parviendra plus à forcer le blocus.

Deux camions-citernes permettront d’alimenter la brigade en eau jusqu’au 11 juin avec 2 litres par homme et par jour dont un devra être donné aux « cuisines ». Ce rationnement s’avère particulièrement pénible pour des hommes qui combattent sans répit en plein soleil dans la chaleur étouffante du désert en été. Il va également falloir économiser les munitions puisqu’au lieu des 80 camions attendus, 30 seulement ont pu passer.

Les journées suivantes, les tringlots de la 101ème bloqués à Bir Hakeim et soumis comme tous dans la forteresse à de violents bombardements aériens et tirs d’artillerie, seront amenés à approvisionner les unités sur position. L’aviation anglaise tente un ravitaillement par air de nuit mais seulement 70 obus et 170 litres d’eau parviennent aux défenseurs.
Le 10 juin, la situation est critique. Les 3600 hommes de la brigade sont à bout de forces. Contre deux divisions italo-allemandes, ils devaient tenir 10 jours et en ont tenu 15, jusqu’à épuisement de leur eau, de leurs vivres et de leurs munitions. Il ne leur restera en effet, à la fin des combats et en tout et pour tout, que 22 coups de 75, alors que la garnison en tirait près de 3000 chaque jour. Mais ces 15 jours de résistance vont permettre aux britanniques de reconstituer un front devant lequel, à court d’essence et de munitions, Rommel sera stoppé.
Le général Koenig prend donc la décision qui s’impose : la sortie de vive force.


Les rescapés du camp retranché BH après leur sortie de vive force


Dans la nuit du 10 au 11 juin, les éléments de la 101ème Cie présents dans le camp retranché y participent. Azimut 213 degrés, les camions de la 1ère section transportant 200 blessés doivent sortir en tête des éléments motorisés de la garnison, sur cinq files de front à travers un champ de mines de 7 kilomètres déminé, en principe, sur 200m de large. Mais à minuit, lorsque les fantassins s’élancent à l’assaut des lignes ennemies, le Génie n’a pu dégager qu’une étroite bande permettant le passage d’une seule file de véhicules. Toutes les armes ennemies déclenchent sur elle un feu d’enfer. Des camions doublent pour tenter de se frayer un passage plus rapide, sautent sur des mines, flambent et éclairent dangereusement la colonne, déjà illuminée par la lueur des fusées éclairantes et des balles traçantes. Contre un triple barrage d’armes automatiques ennemies, une section de Bren Carriers de la Légion charge héroïquement jusqu’à la mort, dégageant un passage. Derrière elle, les camions de la 1ère section de la 101ème s’engouffrent dans la brèche, sous le feu ennemi. Leur chef sera tué à sa tête mais ils parviendront malgré tout à rejoindre à 11km de là,  le point de recueil fixé par la 7ème brigade blindée anglaise, où les attendent 50 véhicules de la 101ème. Au cours de cette bataille, la 1ère section aura payé son dévouement au prix de 14 hommes tués ou blessés sur 20 et 9 camions détruits sur 14. Mais l’ultime convoi est passé, coûte que coûte et les blessés ont pu être confiés aux ambulances britanniques.

A 5h, après de violents combats, les deux tiers des effectifs de la brigade sont parvenus à s’exfiltrer. Le 11 juin, 15 camions de la 101ème patrouilleront dans le désert et sauveront 192 Français libres égarés.
Au cours de cette bataille, la compagnie aura perdu un dixième de ses effectifs, tués ou prisonniers. Quatre de ses braves en particulier ont mérité par leur héroïsme d’être faits compagnons de la libération:
- le capitaine Dulau (1) , qui a conduit sans relâche durant 4 ans la 101ème compagnie de transport puis le Train de la 1ère DFL, depuis la Grande-Bretagne jusqu’à Strasbourg, en passant par tous les théâtres d’engagement d’Afrique, du Moyen-Orient, d’Italie et de France ;


Le colonel Dulau

- le maréchal des logis Le Gourierec, tué à Bir Hakeim dans la nuit du 10 au 11 juin pendant l’évacuation du camp retranché alors qu’il guidait hors de la position ses camions chargés de blessés ;
- le conducteur Fournier de la Barre, qui s’est distingué lors de cette sortie de vive force, en extrayant plusieurs blessés dans des véhicules en flammes et en les chargeant dans son propre véhicule ;    
- le conducteur Bouvier, engagé volontaire à 17 ans, déjà blessé en Syrie et qui, pendant un ravitaillement sur position à Bir Hakeim, s’est précipité sous un violent bombardement d’avions en piqué, pour éteindre le feu de son camion ; grièvement blessé lors de cette action, il a été amputé du bras droit sur le champ de bataille (2).

Nulle unité plus que la 101ème n’avait mieux démontré qu’un moral élevé est à la base des grandes réalisations humaines, en particulier celui de ses 80 jeunes évadés de France.  Répartis dans toutes les sections, ils portaient à bout de bras le moral de l’ensemble de l’unité, suppléant ainsi largement le manque d’instruction technique et de possibilités physiques.

Aux dires du capitaine Dulau, leur chef : « Ils n’avaient pour tout bagage militaire que leur bonne volonté et la foi des hommes jeunes et purs. Ils donnaient une telle impression de jeunesse et de faiblesse que le général De Gaulle avait failli les renvoyer en Angleterre. En Erythrée, les vieux légionnaires chevronnés se demandaient comment ces gamins français avaient pu tenir le coup. »
Lcl(CR) Giraud Officier culture d'arme
                                                                                                          
(1) Jean-Pierre Dulau participera par la suite à toutes les campagnes de la 1ère DFL dont il commandera le train à partir de 1943. Il terminera sa carrière militaire en 1958 avec le grade de colonel avant d’effectuer une seconde carrière dans le civil. Dernier de nos Compagnons de la Libération, il est décédé à Vichy en décembre 2009.
(2) Léon Bouvier terminera la guerre comme lieutenant puis effectuera une belle carrière diplomatique (ambassadeur de France au Paraguay, au Chili et au Danemark). Grand Croix de la Légion d’Honneur, Compagnon de la Libération, Médaillé Militaire, il est décédé en 2005.

A ce jour, 143 militaires français sont morts pour la France en Afghanistan, en Somalie, au Mali ,au Levant et en Centrafrique
Retourner au contenu