L'Enfer

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L'Enfer

L'Histoire
Au matin du 8 Juin, un brouillard épais cache à la vue des défenseurs, la mise en place des unités de choc allemandes, tandis que vingt-deux avions tournent au dessus du camp attendant que la brume se lève. A 7 heures 26, l'enfer se déchaîne sur le Quartier de Roux: bombes d'avions, et grosse artillerie pilonnent tout le secteur, les chars lourds, les 88 dont les projectiles rasent les tranchées et les canons de 50 crachent leurs obus, ainsi protégés les pionniers d'assaut progressent, mètre par mètre, au milieu des mines. Ce qui aurait pu être un coup de main devient une bataille sauvage, et le Groupe Kiehl, qui mène l'attaque, est décimé. Les efforts de l'assaillant sont un instant ralentis par une intervention de la R.A.F. qui mitraille en rase-mottes. Mais vers 11 heures, la canonnade, qui n'a pas cessé, croît encore en intensité, d'autres groupes de la Flak prennent le relais et attaquent, nos Tirailleurs africains résistent.

Vers midi, la R.A.F. intervient à nouveau très efficacement, l'assaut est enrayé, mais l’observatoire d'artillerie, qu'occupe le Capitaine Chavanac ne répond plus il est encerclé, et une mitrailleuse en interdit l'approche, dans le Nord, les points d'appui, et le réduit tenu par le Capitaine Jacquin sont littéralement labourés par les obus, plusieurs pièces antichars sont démolies, il est impossible sous le feu, d'évacuer les blessés. Deux Sections de la 22ème Compagnie N.A.(1) montent en ligne pour renforcer la 6ème  Compagnie du B.M.2 qui a particulièrement souffert, elles perdent en route, la moitié de leurs effectifs. Dans le champ de mines, deux chars lourds brûlent.

Sans même laisser le temps de soufler aux assiégés, le matraquage d'artillerie reprend, et soixante Junkers mêlent le bruit des déflagrations des bombes de cinq cents kilos au tumulte des canons. Les Brenn carriers du B.M.2 contre-attaquent, tandis que Ceux de Dewey du II/13 entrent et Bourdis du III/13 prennent position entre le P.C. de Roux et le point fort Jacquin, le 1er R.A. tire sans interruption, le capitaine Hautefeuille fait la liaison entre l'État-major et le B.M.2 (2). Le soleil brûlant, indifférent, dispense une chaleur accablante, noyés dans la poussière Français et Allemands s'affrontent. Il n'y a plus d’eau pour étancher la soif et les réserves de munitions s'épuisent, il faut réduire les consommations.

Au cours de l'après-midi, la Chasse anglaise, à quatre reprises, vole au ras du sol, et mitraille les soldats d'élite du Colonel Hacker. Au Nord, la 7ème Brigade britannique, qui tente d'intervenir, est repoussée.

''Rommel, lui-même, entre dans le passage de mines..., il emmène ses batteries derrière lui et roule le long de la brèche, sans se soucier de sa personne, en criant ''vorwärts »'' pour les soldats allemands et ''avanti, avanti'' pour les soldats italiens, afin que cet assaut ne soit pas vain'' (L. Koch).

Tandis que dans le Nord, le bataillon Amiel tient tête à Rommel, simultanément d'autres attaques sont lancées, après l'habituel bombardement aérien, au Sud contre le Bataillon Babonneau, à l'Est face à la Compagnie Blanchet du B.P.1 (3) et la Compagnie Faure du B.M.2. Le tir d'arrêt de la Batterie Morlon met un terme à l'avance de fantassins allemands soutenus cependant par des chars et appuyés par des canons d'infanterie.

A 17 heures, la position tout entière est soumise à un tir de neutralisation, qui sera continu jusqu'à la nuit, l'Aspirant Théodore est grièvement blessé. La place est parsemée de trous et de cratères entourés d'un cerne noirâtre laissé par la poudre, c'est sinistre, le sol est jonché de débris, des carcasses de camions gisent éventrées ou brûlées. Le Q.G.51 et le P.C. blindé (4) du Général ont été souvent atteints, lorsque l'Etat-major n'est pas l'objectif privilégié des Artilleurs, il reçoit les coups longs venus de tous les azimuts. Les secrétaires français et les conducteurs indochinois ou cambodgiens supportent avec courage cette épreuve. Le calme revient avec la nuit, cette journée a été particulièrement dure, Rommel de retour dans son camion P.C. écrit sur son carnet de route: ''Malgré son mordant cet assaut fut stoppé par le feu de toutes les armes dont disposaient les assiégés... c'était un remarquable exploit de la part des défenseurs, qui entre-temps, s'étaient toujours trouvés encerclés''.

Le Général Kœnig réorganise, alors, la partie Nord-ouest du Quartier de Roux. La Compagnie Messmer du III/13 avec une Section de la 22ème Nord-africaine relève la Compagnie Tramon du B.M.2, les pièces antichars cassées, les équipes de pièce, décimées, sont remplacées par le soin de la Compagnie lourde Simon. Le 1er R.A. n'a plus que seize pièces en état de fonctionnement, quatre ont fait du ''tir direct'' sur les chars ou ''débouché à zéro'' sur l'infanterie.
Toutes les réserves d'eau sont distribuées, un gallon par homme, soit quatre litres et demi, nul ne sait pour combien de temps. Les postes de secours et le Groupe Sanitaire Divisionnaire sont remplis de blessés, une bombe d'avion a pulvérisé les camions opératoires et démoli une partie de l'abri du G.S.D. L'Aviation anglaise tente un ravitaillement par air, mais les parachutes tombent en torche, la glace arrive pilée, les obus de 75 ne sont plus que des morceaux de métal embouti, les médicaments, plasma, sérum, sulfamides et les anesthésiques sont volatilisés, irrécupérables.

Le 9 Juin, la position est toujours intacte, seul le coin Nord-ouest est entamé, le Point d'appui 186 occupé. Le brouillard qui se lève permet de voir un dispositif ennemi renforcé dans le Nord. Son plan de feu se déclenche aussitôt, six canons de 50, cinq groupes de mitrailleuses de 20 m/m, quatre canons de 88 tirent au ras du sol.
A 7 heures 30, les mortiers de 81 et les canons lourds ouvrent le feu et dans le ciel soixante Junkers tournent, attendant d'y voir clair pour larguer leurs bombes. A 8 heures 30, la terre tremble,. ''Les escadrilles de la Luftwaffe, écrit Rommel, doivent continuellement survoler Bir-Hakeim où elles subissent des pertes importantes ce qui provoque la colère de Kesserling'' .

L'équipe de pièce d'un canon A.T. est atteinte par un coup de 88 frappant son alvéole, le Caporal Damman, survivant, la main arrachée, charge le 75 en s'aidant de son moignon pointe son canon et touche le 88 dont les servants s'en vont au diable. Aucune attaque d'infanterie ne parvient à déboucher, la Compagnie Messmer a ouvert le feu dès la fin  du bombardement aérien.

En début d'après-midi, quarante-deux JU 87, ponctuels et précis, bombardent la face Nord. Les Germano-Italiens montent à l'assaut en formation serrée, combattent par moment, au corps à corps, une charge de trois sections de Brenn carriers les oblige à décrocher. Devant le B.P. 1, l'ennemi parvient à la bordure du champ de mines, après avoir détruit, à coup de 50, tous les antichars de première ligne, mais il laisse sur le terrain deux cent cinquante cadavres. Le Lieutenant-colonel Broche et son adjoint le Capitaine de Bricourt sont tués, le Commandant Savey prend le commandement du Quartier, c'est ainsi que naquit au feu, le Bataillon d'Infanterie de Marine et du Pacifique, le B.I.M.P. La Compagnie Chevillotte du B.M.2 arrête un fort détachement d'infanterie que dix chars accompagnent. Le soir, vers 20 heures, Bir-Hakeim tient toujours, un dernier bombardement, par soixante avions, détruit définitivement le G.S.D. déchiquetant, dix-sept grands blessés opérés.

Le Général Rommel, ce même jour, commence à désespérer du succès, après le rapport que lui fait le Colonel Hacker, il éclate :
''Cette saloperie de Bir-Hakeim nous a coûté assez de victimes, nous nous y cassons les dents. Je laisse le fort à sa place et nous marchons sur Tobrouk''

Hacker, certain de pouvoir gagner réclame le renfort du 115ème  Régiment du Lieutenant-colonel Baade. Après avoir consulté son chef d'État-major Fritz Bayerlein, Rommel le lui accorde. Et le Général de Gaulle adresse au Général de Larminat pour notification au Général Koenig le télégramme suivant :.
« Général Koenig, sachez et dites à vos troupes que toute la France vous regarde et que vous êtes son orgueil »
Général de Gaulle.

Message du Général Koenig.
« Nous remplissons notre mission depuis 14 nuits et 14 jours, je demande que ni les cadres, ni la troupe ne se laissent aller à la fatigue. Plus les jours passeront, plus ce sera dur, ceci n'est pas pour faire peur à la Première Brigade Française Libre. Que chacun bande ses énergies. L'essentiel est de détruire l'ennemi chaque fois qu'il se présente à portée de tir ».

Notre Général sait que le 10 Juin sera le dernier jour, le Commandement allié lui a fait savoir que « la résistance n'est plus essentielle pour le développement général de la bataille », et lui a donné le choix entre évacuer la position, ou rester sur place en étant ravitaillé par air.
Il faut encore réduire les cadences de tir, le 1er  R.A. n'a plus que cent soixante-dix obus par pièce, les antichars cinquante et les mortiers cent. Nos Bofors commencent à manquer de munitions, les réserves d'eau sont totalement épuisées, le ravitaillement par air de la dernière nuit a fourni cent soixante-dix litres qui ont été distribués aux blessés, les vivres sont épuisés, rester est impossible.
Le brouillard épais du matin, dont l'humidité est appréciée des hommes, prolonge jusqu'à 9 heures le calme de la nuit, les équipes téléphoniques du Capitaine Renard travaillent dans le ''coton'' pour réparer encore et toujours les lignes, comme ils l'ont fait sous les pires bombardements. Un important groupe d'avions survole, alors, Bir-Hakeim, il s'éloigne, revient, tourne, puis repart enfin, les combattants sont tellement imbriqués qu'un bombardement à l'aveuglette risquerait d'atteindre les siens.
Lorsque la brume se lève, tout à coup nos F.M. tirent, et les fantassins ennemis, surpris debout, disparaissent dans leurs trous. Le jour revenu permet de vérifier que l'étau s'est resserré au cours de la nuit. Les assaillants sont tout proches de nos premiers éléments, et même au milieu des champs de mines devant le B.P. 1 et II/13. Au Nord-Est de la position le Lieutenant Bourgoin du II/13 se bat à la grenade contre une compagnie italienne. L'historique de la ''Trieste'' mentionne à la date de ce jour « l'attaque des 65ème et 66ème Régiments d'infanterie gagne du terrain, mais lentement, avec des pertes considérables ».
Des obus tombent n'importe où, sans but précis, et au début de l'après-midi trente avions bombardent la face Nord, aussitôt après, l'attaque débouche, appuyée par dix chars roulant dans les éclatements d'un barrage d'artillerie. Le Révérend père Michel et le Sous- Lieutenant Koudoukou du B.M.2 viennent rendre compte au Général de la situation critique dans laquelle se trouve la Compagnie Messmer: une de ses Sections, non seulement tenue sous le feu, mais aussi sous les chenilles des chars, est mise hors de combat et la Section Nord-africaine de renfort a également cédé. L'ordre est donné à l'artillerie de tirer ''dans le tas'' , tandis que les Brenn carriers de III/13 et deux Sections d'Infanterie du B.M.2 s'engagent et rétablissent la situation, un char est immobilisé. La R.A.F. appelée à la rescousse mitraille les attaquants pendant que la 7èmeBrigade inquiète l’ennemi sur ses arrières et soulage la défense. Le Médecin lieutenant Genêt s’affaire auprès des blessés.

Le harcèlement d'artillerie dure jusqu'à 19 heures, un nouvel assaut, sur la face Nord, suit l'intervention de cent bombardiers. La D.C.A. réplique, Marins et Canonniers anglais debout sous les bombes.
L'artillerie n'économise plus ses obus (5). L'attaque est enrayée après deux heures de combat. La soif, la chaleur, la fatigue ont raison des uns et des autres, une sorte d'entracte s'établit, après que la Section du Sergent-chef Pavitchevitch ait combattu dans un corps à corps sauvage.

Cependant, la fin de la journée déjà bien remplie, promet d'être rude, pensent les Légionnaires, voyant leurs officiers se raser avec le dernier quart d'eau : selon les principes du Lieutenant-colonel Amilakvari « il faut être correct pour mourir » .

La garnison va tenter de sortir, emmenant ses blessés et les armes lourdes que les véhicules encore en état de marche peuvent remorquer. Ce qui ne peut être emporté est détruit, les paquetages lacérés, l'essence répandue sur le sable, les ordres sont formels, rien ne doit tomber entre les mains de l'ennemi. Les aumôniers, le Père Lacoin et 1' Abbé Malec, s'assurent qu'une croix a bien été plantée sur la tombe de ceux des nôtres qui sont morts en ce lieu. Au crépuscule, chacun s'affaire dans la position qui présente un aspect affreusement désolé, le terrain est entièrement bouleversé par les trous d'obus et de bombes.

    (1) 22èmeCompagnie Nord-Africaine du Capitaine Lequesne
    (2) B.M.2 Bataillon de Marche n°2 de l'Oubanghi-chari du Commandant Amiel
    (3) B.P.1 : Bataillon du Pacifique du Lieutenant-colonel Broche
    (4) Le P.C. blindé est en fait, une caisse métallique de camion mise en travers d'une tranchée.
  (5) : Durant le siège, les Bofors ont tiré 47 200 obus sur les avions qui exécutent 5 200 passages au-dessus de Bir-Hakeim et  l'artillerie 42 000 coups de 75 et 3 000 de 25 livres.
A ce jour, 143 militaires français sont morts pour la France en Afghanistan, en Somalie, au Mali ,au Levant et en Centrafrique
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